Article paru dans l’Est Républicain du 2/12/15.
« On monte, on monte, mais arrivera-t-on jamais là-haut ? », s’interrogent les deux brancardiers, appelés dans la tour d’un quartier dont l’ascenseur est en panne. L’ascenseur social ? La vie, simplement ?
Lorsqu’il avait écrit « Les brancardiers » pour le Théâtre du royaume d’Evette « il y a trente ans », Denis Rudler, metteur en scène, y avait vu « une métaphore de la vie ». C’est ni plus ni moins ce que reprennent ses comédiens aujourd’hui, qui allient aux brancardiers, le fil conducteur de l’histoire, des tranches de vie du 16-34, la barre d’immeubles qui a fini d’être détruite en août, rue Parant aux Glacis.
Lorsqu’il a été question de la démolition de ce bâtiment emblématique du quartier, un travail de mémoire s’est rapidement imposé. « Tout est parti au cours des réunions organisées par l’agent de développement social du quartier et Karel Trapp, le directeur de la Régie », explique Renée Rémy, présidente de la Régie des quartiers.
Avec le Théâtre du royaume d’Evette et Denis Rudler, quelques amateurs avaient déjà travaillé sur la mise en animation de l’exposition sur l’immigration, en 2014. Denis Rudler a proposé de réécrire en partie « Les brancardiers » et d’y adjoindre poèmes et saynètes tirés des témoignages d’anciens habitants du 16-34. « Nous avons commencé en juillet, où nous avons fait des exercices à partir de textes », racontent les comédiens qui ont été rejoints par des débutants. « J’ai alors attribué les rôles », rajoute Denis Rudler qui a profité de l’été pour capter des témoignages. « En septembre, nous avons commencé le travail de répétition avec Jean-Paul Bourreau », comédien belfortain, qui leur a appris à respirer et à parler. « Nous sommes des apparitions et des non-apparitions », résume Martine, habitante incontournable du quartier et du 16-34.
Au milieu des considérations des deux brancardiers qui font une pause, éreintés, au 19e étage, les anciens habitants du 16-34 se réveillent, racontent leurs joies, leurs peines et des épisodes incongrus vécus dans la barre. « Ça a de la gueule », remarque Renée Rémy, fière du rendu. « Nous, on a trouvé que la démolition avait pris du temps », lâche Ginette. « Trois ans, c’est long ». Mais c’est peut-être le temps nécessaire pour pouvoir enfin se raconter des histoires.
En riant, Martine, qui joue avec les portes, seul décor sur scène, remarque que Denis Rudler « nous rudoie ! » Elle vit dans le quartier depuis quarante ans et les brancardiers, elle les a connus « pour de vrai » quand ils sont venus l’aider à descendre les escaliers de son immeuble pour accoucher… Le théâtre fait désormais partie de sa vie, comme de celle de Rose-Marie, qui aimait déjà aller voir des pièces mais « je préfère le faire ». « Je les vois évoluer, elles vont de mieux en mieux », remarque Renée Rémy qui se glisse aussi dans la pièce. Boualem aussi y a pris goût, lui qui jouait un chibani dans la précédente création du Royaume d’Evette aux Glacis. « J’ai accepté sans hésiter de revenir, j’aime ce qui bouge. Avec moi, il y a les voisines, on se voit tous les jours, une certaine complicité s’est créée. Je récite même à haute voix à la maison et ma petite-fille de 2 ans essaie de répéter ». Ces comédiens-là y ont vraiment pris goût.
À partir de 6 ans, les samedis 5 et 12 décembre à 20 h 30, dimanches 6 et 13 décembre à 17 h à la maison de quartier des Glacis. Réservation conseillée au 03.84.26.42.33.
Karine FRELIN