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La nuit . Jean est couché. Il dort. Meriem est assise sur une chaise. Elle se lève, s’approche du lit, observe Jean puis s’assied au bord du lit. Il est nerveux. Il s’agite dans son sommeil. Elle s’allonge sur le lit, se penche sur lui. Il ouvre les yeux et pousse un cri. Elle court se réfugier sur la chaise.
Jean
C’est toi…excuse-moi, j’ai pas l’habitude…J’ai toujours été seul …ici, à la maison…Tu bouges pas, depuis que t’es arrivée, tu bouges pas. Comme une statue. Ca me fait peur, on n’est pas à Lourdes. Tu dis rien. T’as dit « Meriem » quand je t’ai demandé comment tu t’appelles, puis rien. Tu peux pas rester comme ça. On est pas marié, c’est sûr. Mais après, faudra bien parler. J’aime mieux pas savoir comment t’as fait pour venir jusqu’ici, dans ce trou. Ils t’ont déposée devant la porte ? c’est impossible autrement. T’as voyagé dans une caisse fermée comme les jouets de Noël qui viennent de Chine ? Comment t’aurais trouvé le chemin, par signes ? t’avais un papier avec l’adresse dessus ? Tu sais des mots de français ? champignon, cham-pi-gnon ! hein, ça c’est du beau français. Je voudrais t’entendre parce que je les ai assez entendus. Ils en mettent trop. Jean ceci et Jean cela, tellement que tu finis par te prendre pour une limace, li-ma-ce, et encore les limaces elles s’accouplent en public et que tu te sens une moitié d’homme avec des yeux pour voir rien, des oreilles pour entendre rien et un sexe pour baiser rien. Tu comprends ? tu comprends pas… Je parle au silence, un silence qu’à deux yeux grands comme la peur et l’amour qui vient pas et toi qui bouge pas…Je vais pas te manger, j’ai de la mousse d’amertume dans la bouche, sur mes lèvres, pas bon pour embrasser, surtout avec des lèvres comme les tiennes… Jamais vu des comme ça ici. Elles ont toutes des lèvres petites… Tu comprends ce que je dis ? le vieux, il a raison, ça sert à rien de vouloir s’élever au-dessus de sa condition. Je sais même pas où c’est la Mauritanie ?
Meriem
Dans le désert.
Jean
Tu parles ?
Meriem
Je parle.
Jean
Français.
Meriem
Mal.
Jean
Non, bien.
Meriem
Je sais pas.
Jean
Le français est une langue difficile à apprendre. Je vais t’aider, répète après moi : l’amour…
Meriem
L’amour…
Jean
Est un chien…
Meriem
Est un chien…
Jean
L’amour est un chien ivre.
Meriem
L’amour est un chien ivre…C’est con !
Jean
Con ! tu connais le mot le plus utilisé de la langue française après merde !
Meriem
Merde, aussi…
Jean
Essayons une autre phrase…
Meriem
C’est con.
Jean
Là, Meriem, tu me caches quelque chose…
Meriem
J’ai appris le français à l’école.
Jean
Dans une autre vie ?
Meriem
Oui.
Jean
Le français c’est pas la langue des morts.
Meriem
J’étais avec les morts, j’étais en Mauritanie.
Jean
Tu y es encore.
Meriem
Personne doit savoir que je parle français.
Jean
Pourquoi ?
Meriem
C’est mieux.
Jean
Tu comprends dans quelle situation tu me mets ?
Meriem
Je suis venue de loin.
Jean
Je sais, du royaume des morts.
Meriem
Du désert. Je ne voulais pas mourir dans le désert .
Jean
Ici, c’est aussi le désert. Le désert entre les gens.
Meriem
Je comprends pas.
Jean
Chacun pour soi.
Meriem
Ca aussi je comprends pas.
Jean
Vaut mieux. Pourquoi ces secrets ?
Meriem
J’ai fui là-bas. Trop dangereux pour moi. Je soignais les femmes. Je les soignais contre les hommes.
Jean
Tu étais médecin ?
Meriem
Pas médecin. Comment on dit, soignante…
Jean
Infirmière ?
Meriem
Oui. Comme ça.
Jean
Ca tombe bien. Le vieux, il a besoin de soins. Ma tante y arrive pas.
Meriem
Il voudra pas.
Jean
Comment t’as fait pour venir jusqu’ici ?
Meriem
Des amis là-bas. J’ai changé de nom et me voilà.
Jean
C’était pas pour un mariage…
Meriem
Pas pour ça.
Jean
Je vais avoir l’air d’un con.
Meriem
Mais j’ai besoin du mariage pour rester.
Jean
Tu crois que je vais me marier après vingt ans de célibat et divorcer le lendemain ? Je suis pas un pigeon.
Meriem
Je paierai ma dette.
Jean
En couchant avec moi ?
Meriem
Je serai ta femme.
Jean
Je veux pas d’une femme bidon !
Meriem
Si c’est pas possible, je m’en vais.
Jean
Pour aller où ?
Meriem
Je ne sais pas.
Jean
Avec ces vêtements ?
Meriem
Ils m’ont protégée. Ils m’ont sauvée.
Jean
Maintenant, c’est plus nécessaire.
Meriem
J’en ai pas d’autres.
Jean
Je vais t’en acheter.
Meriem
Pas maintenant.
Jean
Pourquoi ?
Meriem
C’est trop tôt.
Jean
Tu peux pas rester habillée comme ça. Je vais t’acheter une robe longue et un pull large. Sur la tête tu pourras mettre un foulard. C’est pas bien un foulard ?
Meriem
C’est bien.
Jean
J’ai pas encore vu la couleur de tes cheveux, ni la peau de ton cou.
Meriem
Après le mariage. Après le mariage si dieu le veut.
Jean
C’est du chantage.
Meriem
Dans mon pays, c’est ça. Une femme pas vierge avant le mariage, on lui jette des pierres .
Jean
C’est pas parce que j’aurai vu tes cuisses que tu perdras ta virginité.
Meriem
La virginité dans la tête.
Jean
C’est des conneries. Je te marie si je t’aime. Je t’aime si je te connais. Je te connais si je connais ton corps.
Meriem
Touche pas.
Jean
Je vais me gêner.
Meriem
Non.
Jean
Et le voile pour commencer !
Meriem
Non !
Jean
Je te l’arrache moi.
Meriem
Pas le voile !
Jean
Et le reste ! Je vais te marier !
Meriem
Par pitié, me touche pas !
Jean
Qu’est-ce que t’as là-dessous, pas plus qu’une européenne ! pas plus qu’une chienne !
Meriem
Tu es fou !
Jean
Putain, qu’est-ce que tu caches !… Excuse-moi…
Meriem
Pas maintenant.
Jean
Je te toucherai plus.
Meriem
C’était trop long. On a déjà voulu me tuer.
Jean
Je voulais pas te tuer.
Meriem
J’ai perdu ma pureté, c’est ça ma mort.
Jean
Je comprends rien.
Meriem
Il faut prendre le temps. Il faut attendre. Attendre.
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