AU VILLAGE 3

3

Scène 1

Jean

Demain, j’accompagne Meriem à la préfecture pour ses papiers. Vous avez entendu ? vous faites la gueule ? Une semaine et pas un mot. Qu’est-ce qui va pas ?

Madeleine

On pourra pas la garder.

Jean

C’est moi qui décide. Pas vous !

Madeleine

C’est nôtre vie, la tienne et aussi la nôtre.

Jean

Plus maintenant.

Joseph

Il a même pas encore vu ses nichons.

Jean

Ca aussi c’est fini, tes réflexions de merde !

Joseph

Elle regarde pas en face.

Madeleine

Elle a pas voulu étendre la lessive. Elle sort pas. Elle sort jamais. Je peux pas tout faire. Faut qu’elle prenne sa part.

Joseph

Faut qu’elle prenne sa part. Ta tante arrête pas, moi je crève, toi tu travailles aux fromages et elle, qu’est-ce qu’elle fout ? Elle mange tes sous !

Jean

Et alors, c’est mon argent.

Madeleine

Ca durera pas plus qu’une messe, après faudra se décider.

Joseph

J’aime pas qu’on se foute de ma gueule.

Jean

Personne se moque de toi. Elle est réservée, elle a peur. C’est normal, elle connaît rien à ce monde.

Joseph

On est la risée.

Madeleine

Va au village et ouvre tes oreilles.

Jean

J’en ai rien à foutre d’eux.

Madeleine

Le maire est passé. Il a dit qu’il était pas au courant, que l’autorisation de résidence c’est lui qui la donne et qu’il est pas question qu’une étrangère sème le trouble dans son village, il y a eu assez de bordel avec la mauricienne.

Jean

Elle est même pas sortie ! elle trouble personne.

Madeleine

Partout ça cause.

Joseph

Même la nuit ça cause. Ferme tes volets, ils perdent rien. D’ailleurs est-ce que t’as seulement couché avec elle ?

Jean

C’est pas le problème.

Joseph

Il y en a pas d’autre.

Jean

Tu lui as même pas dit un mot.

Joseph

C’est à elle de causer en premier. C’est pas ça qui va lui écorcher la bouche.

Jean

Elle peut pas. Ton regard, c’est une lame de couteau quand tu la regardes.  On dirait que tu vas la découper en petits morceaux.

Joseph

J’aurais jamais imaginé qu’un jour j’aurais une femme voilée chez moi. Même les bonnes sœurs qui viennent me faire la piqûre elles portent plus de voile. J’ai honte. Tu me reproches de pas lui parler, mais j’ai même pas entendu le son de sa voix.

Madeleine

Moi non plus.

Joseph

Pour ça faudrait qu’elle sorte de ta chambre.

Madeleine

On sait pas si elle parle le français.

Jean

Elle parle.

Joseph

C’est au moins ça.

Madeleine

On sait rien de sa vie. Comment tu veux qu’on y comprenne quelque chose ?

Joseph

Y a rien à comprendre. Tu t’es fait avoir mon pauvre Jean. Demain, elle va se sauver et tu pourras même pas la retrouver vu que tu la connais même pas.

Jean

J’irai avec elle.

Joseph

Tu iras où ? Avec elle tu trouveras pas à te loger. Tu seras à la rue.

Jean

Il y a toujours une place quelque part pour les honnêtes gens.

Joseph

Ils s’en foutent de l’honnêteté, les gens. Ce qui compte c’est la gueule du client et son portefeuille. Quand il est vide, t’es le roi des cons. Quand il est plein, t’es le roi d’Arabie. Mais j’en ai assez dit. Tu me saoules avec cette histoire. Je veux plus en parler.

Madeleine

Tu vois ton père, tu le rends malade.

Jean

Il est malade depuis longtemps. Avant même que je naisse.

Madeleine

Il faut le ménager.

Jean

On s’en ira si ça peut le soulager.

(Entre Gina)

Madeleine

Gina !

Gina

Bonjour.

Madeleine

On t’attendait pas.

Gina

Je viens pour la coupe.

Madeleine

Quelle coupe ? personne a besoin.

Gina

Il y avait un message sur le répondeur. Alors, je suis venue.

Madeleine

C’est une erreur.

Gina

Pourtant, le vieux et Jean, ça leur ferait du bien.

Madeleine

C’est sûrement pas Joseph qui a appelé, il touche pas au téléphone.

Gina

Alors, c’est Jean.

Madeleine

C’est toi ?

Gina

Ca va pas Jean ? pourquoi tu réponds pas ?

Madeleine

Il est fatigué.

Gina

Je comprends.

Jean

Tu comprends pas, tu peux pas comprendre !

Gina

C’est la fréquentation des étrangères qui te rend nerveux ?

Jean

Je fréquente pas, j’aime, c’est différent.

Gina

On dit ça quand on veut pas perdre la face.

Jean

Qu’est-ce que tu veux Gina ?

Gina

Je suis venue pour la coupe. J’ai pas de préjugé. Je coiffe tout le monde. Etranger ou pas. Sauf les pervers qui me confondent avec une fille à domicile. Je coupe même les cheveux des chinois.

Madeleine

Avec tous les chinois qu’il y a dans le coin, tu manques pas de travail !

Gina

Te moque pas. La semaine dernière j’ai coiffé des japonais qu’étaient descendus à l’auberge. Toute une délégation qui venaient visiter les caves à fromages. Paraît qu’ils vont lancer la production de gruyère au Japon.

Jean

Si c’est pour Meriem que t’es venue, tu peux repartir. Elle a pas besoin de coiffeuse. Elle se débrouille toute seule. Elle a des cheveux longs comme des bras.

Gina

Qu’est-ce qu’elle fait avec ses cheveux longs comme des bras ? elle se gratte les fesses ?

Jean

J’aime pas ces plaisanteries.

Gina

Il y a peu de temps, tu te faisais couper les cheveux deux fois par semaine.

Jean

Ce temps est fini.

Madeleine

Heureusement, parce que ça coûtait les yeux de la tête.

Gina

C’était un temps où on savait accueillir dans cette maison.

Jean

On sait toujours.

Gina

Ca reste à prouver.

Jean

Qu’est-ce que tu veux Gina ? il y a pas eu de message sur le répondeur. Tu nous prends pour des cons ? c’est l’odeur de l’étrangère qui t’attire ? ça fait combien de temps que t’es pas venue ? qu’est-ce qui te fait sortir du bois ? t’as envie de voir l’africaine ? je vais t’aider. (Il ouvre la porte qui donne sur les chambres) Qu’est-ce que tu attends ? vas-y ! faut que je te tienne la main ? elle est dans la chambre. C’est pas une hyène, elle dévore personne. Alors ?

Gina

Je suis pas venue pour ça.

Jean

Tu te débines ?

Gina

Laisse-moi, tu veux …

Jean

Vas-y c’est par là !

Madeleine

Laisse la Jean.

Jean

Elle sera la première à l’avoir vue, elle pourra en parler à toute le monde. Elle rêve que de ça.

Gina

Je savais que tu étais devenu fou, mais pas à ce point, pas à ce point ! (elle sort)

 

Scène 2

Madeleine

Je te reconnais pas.

Joseph

Ferme-la.

Madeleine

Incisif ! c’était toi avant, ça.

Joseph

Ferme-la, j’te dis !

Madeleine

Jamais t’aurais accepté.

Joseph

Tu la fermes nom de dieu !

Madeleine

Y a même eu un article dans le journal.

Joseph

Mettent leur sale museau partout. De toute manière, je lis pas les journaux.

Madeleine

Et le curé qu’est passé.

Joseph

Tu l’as laissé entrer ?

Madeleine

On est dans la nuit, alors faut bien qu’on nous apporte un peu de chaleur.

Joseph

La chaleur d’un curé !

Madeleine

Y aussi la Berthe qu’est venue.

Joseph

Qu’est-ce qu’elle voulait ?

Madeleine

Il l’a mise à la porte.

Joseph

Fait pas que des conneries le gosse.

Madeleine

Demain ce sera le notaire et après demain les gendarmes.

Joseph

Le pape y peut venir j’en ai rien à foutre.

Madeleine

Ca tourne mal Joseph.

Joseph

Attends, attends, je l’ai pas poussé au cul pour une qui serait pas d’ici.

Madeleine

Ca fait longtemps.

Joseph

Et même plus.

Madeleine

Comme les éléphants qu’ont trop de mémoire.

Joseph

Cause propre.

Madeleine

De nos erreurs.

Joseph

Y a pas eu d’erreurs.

Madeleine

Ca se paie.

Joseph

La connerie aussi, ça se paie.

Madeleine

C’était pas bien.

Joseph

C’était.

Madeleine

Aujourd’hui on le paie.

Joseph

Apporte moi mon bain de pieds.

Madeleine

J’y pense, j’arrête pas d’y penser depuis qu’elle est arrivée.

Joseph

Tu vas pas me gonfler les hémorroïdes parce qu’on a fauté ensemble.

Madeleine

C’était pas bien, c’était juste après sa mort.

Joseph

C’était après.

Madeleine

J’aurais pas du rester. Je l’ai fait pour Jean. J’aurais jamais dû.

Joseph

Pour qui ? pour Jean ou pour moi ?

Madeleine

Pour Jean.

Joseph

T’as pas craché dessus.

Madeleine

Jamais tu m’aurais laissé m’occuper de lui.

Joseph

C’est faux. Dis pas ça. J’ai pas fait ce marchandage.

Madeleine

Tu t’adresses à une femme et tu lui fais comprendre que sans ça il en viendra une autre et qu’il aura une autre mère qui serait pas de la famille. C’est ça que tu as fait entendre. Je pouvais pas laisser faire.

Joseph

Tu pouvais pas laisser faire alors tu t’aies laissée faire. Faut pas venir vingt ans après me faire la leçon. Tu pouvais refuser. Tu pouvais retourner dans ta grotte…C’est pas assez chaud.

Madeleine

Jamais t’es content. C’est chaud. T’as plus de sensibilité.

Joseph

Depuis qu’elle est arrivée, tu sais plus la bonne température, tu sais plus la dose de vinaigre. Même les patates tu sais plus les cuire. Faut pas grand chose pour te mettre à l’envers. A moins que ce soit de la rancœur.

Madeleine

C’est toi qu’as changé, t’es en train de te refroidir. Elle perturbe tout le monde. Faut la renvoyer.

Joseph

Tu parles de la saharienne ? P’être qu’elle saurait la bonne température. P’être qu’elle saurait mieux que toi. Parce qu’elle a été infirmière à ce qui se dit.

Madeleine

Y a pas d’eau dans le désert. Y peuvent pas prendre de bains de pieds. Y prennent le thé à la menthe c’est tout.

Joseph

C’est p’être ce qui me faut, un bain de pieds au thé à la menthe.

Madeleine

De la menthe il y en a dans le jardin, si t’en veux…

Joseph

Alors, de quoi tu te plains.

Madeleine

Faut qu’elle parte.

(Entre Jean)

Jean

Parlez pas tous en même temps.

Joseph

Cette eau , elle refroidit pas.

Jean

Et quand vous parlez, c’est à côté.

Madeleine

L’eau, elle finit toujours par refroidir.

Jean

T ‘as mis les noix à sécher ?

Madeleine

Pas encore.

Joseph

Avant que ça gèle…

Jean

Comment faut vous parler ? en chinois ?

Joseph

Dis lui : c’est d’abord le respect qu’il faut. Sans respect, pas de confiance. Pas de confiance, pas de parole.

Madeleine

Pourquoi moi ?  C’est toi le père.

Joseph

Une femme, ça sait mieux parler sans la colère.

Madeleine

C’est pas ça que j’ai envie de lui dire.

Joseph

Alors, fais pas chier.

Madeleine

Je voudrais lui dire qu’il y en a une de trop.

Joseph

Tu peux pas lui dire ça, t’en voulais une de plus, tu l’as eue.

Madeleine

Il en fait qu’à sa tête. Je voulais pas une saharienne.

Jean

Mauritanienne !

Joseph

On peut rien quand il en a dans la tête, c’est comme pris dans le béton. Ca bouge plus.

Madeleine

Faudra qu’il change en premier, ensuite on verra.

Joseph

Il finira par se fâcher avec tout le monde.

Jean

C’est pas la première fois que vous faites ça. Mais faudra pas me demander quand vous aurez besoin de moi, que vous serez au fond de votre lit et que vous pourrez même plus vous relever pour chier.

(Il sort)

Joseph

Maintenant, elle est trop froide.

Madeleine

Tu sais pas ce que tu veux. Vous êtes une famille de « je sais pas ce que je veux » !.

Joseph

D’ailleurs, quand je serai au fond de mon lit et que je pourrai plus bouger….

 

A suivre.

 

 théâtre amateur belfort

 

 

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