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Scène 1
Jean
Demain, j’accompagne Meriem à la préfecture pour ses papiers. Vous avez entendu ? vous faites la gueule ? Une semaine et pas un mot. Qu’est-ce qui va pas ?
Madeleine
On pourra pas la garder.
Jean
C’est moi qui décide. Pas vous !
Madeleine
C’est nôtre vie, la tienne et aussi la nôtre.
Jean
Plus maintenant.
Joseph
Il a même pas encore vu ses nichons.
Jean
Ca aussi c’est fini, tes réflexions de merde !
Joseph
Elle regarde pas en face.
Madeleine
Elle a pas voulu étendre la lessive. Elle sort pas. Elle sort jamais. Je peux pas tout faire. Faut qu’elle prenne sa part.
Joseph
Faut qu’elle prenne sa part. Ta tante arrête pas, moi je crève, toi tu travailles aux fromages et elle, qu’est-ce qu’elle fout ? Elle mange tes sous !
Jean
Et alors, c’est mon argent.
Madeleine
Ca durera pas plus qu’une messe, après faudra se décider.
Joseph
J’aime pas qu’on se foute de ma gueule.
Jean
Personne se moque de toi. Elle est réservée, elle a peur. C’est normal, elle connaît rien à ce monde.
Joseph
On est la risée.
Madeleine
Va au village et ouvre tes oreilles.
Jean
J’en ai rien à foutre d’eux.
Madeleine
Le maire est passé. Il a dit qu’il était pas au courant, que l’autorisation de résidence c’est lui qui la donne et qu’il est pas question qu’une étrangère sème le trouble dans son village, il y a eu assez de bordel avec la mauricienne.
Jean
Elle est même pas sortie ! elle trouble personne.
Madeleine
Partout ça cause.
Joseph
Même la nuit ça cause. Ferme tes volets, ils perdent rien. D’ailleurs est-ce que t’as seulement couché avec elle ?
Jean
C’est pas le problème.
Joseph
Il y en a pas d’autre.
Jean
Tu lui as même pas dit un mot.
Joseph
C’est à elle de causer en premier. C’est pas ça qui va lui écorcher la bouche.
Jean
Elle peut pas. Ton regard, c’est une lame de couteau quand tu la regardes. On dirait que tu vas la découper en petits morceaux.
Joseph
J’aurais jamais imaginé qu’un jour j’aurais une femme voilée chez moi. Même les bonnes sœurs qui viennent me faire la piqûre elles portent plus de voile. J’ai honte. Tu me reproches de pas lui parler, mais j’ai même pas entendu le son de sa voix.
Madeleine
Moi non plus.
Joseph
Pour ça faudrait qu’elle sorte de ta chambre.
Madeleine
On sait pas si elle parle le français.
Jean
Elle parle.
Joseph
C’est au moins ça.
Madeleine
On sait rien de sa vie. Comment tu veux qu’on y comprenne quelque chose ?
Joseph
Y a rien à comprendre. Tu t’es fait avoir mon pauvre Jean. Demain, elle va se sauver et tu pourras même pas la retrouver vu que tu la connais même pas.
Jean
J’irai avec elle.
Joseph
Tu iras où ? Avec elle tu trouveras pas à te loger. Tu seras à la rue.
Jean
Il y a toujours une place quelque part pour les honnêtes gens.
Joseph
Ils s’en foutent de l’honnêteté, les gens. Ce qui compte c’est la gueule du client et son portefeuille. Quand il est vide, t’es le roi des cons. Quand il est plein, t’es le roi d’Arabie. Mais j’en ai assez dit. Tu me saoules avec cette histoire. Je veux plus en parler.
Madeleine
Tu vois ton père, tu le rends malade.
Jean
Il est malade depuis longtemps. Avant même que je naisse.
Madeleine
Il faut le ménager.
Jean
On s’en ira si ça peut le soulager.
(Entre Gina)
Madeleine
Gina !
Gina
Bonjour.
Madeleine
On t’attendait pas.
Gina
Je viens pour la coupe.
Madeleine
Quelle coupe ? personne a besoin.
Gina
Il y avait un message sur le répondeur. Alors, je suis venue.
Madeleine
C’est une erreur.
Gina
Pourtant, le vieux et Jean, ça leur ferait du bien.
Madeleine
C’est sûrement pas Joseph qui a appelé, il touche pas au téléphone.
Gina
Alors, c’est Jean.
Madeleine
C’est toi ?
Gina
Ca va pas Jean ? pourquoi tu réponds pas ?
Madeleine
Il est fatigué.
Gina
Je comprends.
Jean
Tu comprends pas, tu peux pas comprendre !
Gina
C’est la fréquentation des étrangères qui te rend nerveux ?
Jean
Je fréquente pas, j’aime, c’est différent.
Gina
On dit ça quand on veut pas perdre la face.
Jean
Qu’est-ce que tu veux Gina ?
Gina
Je suis venue pour la coupe. J’ai pas de préjugé. Je coiffe tout le monde. Etranger ou pas. Sauf les pervers qui me confondent avec une fille à domicile. Je coupe même les cheveux des chinois.
Madeleine
Avec tous les chinois qu’il y a dans le coin, tu manques pas de travail !
Gina
Te moque pas. La semaine dernière j’ai coiffé des japonais qu’étaient descendus à l’auberge. Toute une délégation qui venaient visiter les caves à fromages. Paraît qu’ils vont lancer la production de gruyère au Japon.
Jean
Si c’est pour Meriem que t’es venue, tu peux repartir. Elle a pas besoin de coiffeuse. Elle se débrouille toute seule. Elle a des cheveux longs comme des bras.
Gina
Qu’est-ce qu’elle fait avec ses cheveux longs comme des bras ? elle se gratte les fesses ?
Jean
J’aime pas ces plaisanteries.
Gina
Il y a peu de temps, tu te faisais couper les cheveux deux fois par semaine.
Jean
Ce temps est fini.
Madeleine
Heureusement, parce que ça coûtait les yeux de la tête.
Gina
C’était un temps où on savait accueillir dans cette maison.
Jean
On sait toujours.
Gina
Ca reste à prouver.
Jean
Qu’est-ce que tu veux Gina ? il y a pas eu de message sur le répondeur. Tu nous prends pour des cons ? c’est l’odeur de l’étrangère qui t’attire ? ça fait combien de temps que t’es pas venue ? qu’est-ce qui te fait sortir du bois ? t’as envie de voir l’africaine ? je vais t’aider. (Il ouvre la porte qui donne sur les chambres) Qu’est-ce que tu attends ? vas-y ! faut que je te tienne la main ? elle est dans la chambre. C’est pas une hyène, elle dévore personne. Alors ?
Gina
Je suis pas venue pour ça.
Jean
Tu te débines ?
Gina
Laisse-moi, tu veux …
Jean
Vas-y c’est par là !
Madeleine
Laisse la Jean.
Jean
Elle sera la première à l’avoir vue, elle pourra en parler à toute le monde. Elle rêve que de ça.
Gina
Je savais que tu étais devenu fou, mais pas à ce point, pas à ce point ! (elle sort)
Scène 2
Madeleine
Je te reconnais pas.
Joseph
Ferme-la.
Madeleine
Incisif ! c’était toi avant, ça.
Joseph
Ferme-la, j’te dis !
Madeleine
Jamais t’aurais accepté.
Joseph
Tu la fermes nom de dieu !
Madeleine
Y a même eu un article dans le journal.
Joseph
Mettent leur sale museau partout. De toute manière, je lis pas les journaux.
Madeleine
Et le curé qu’est passé.
Joseph
Tu l’as laissé entrer ?
Madeleine
On est dans la nuit, alors faut bien qu’on nous apporte un peu de chaleur.
Joseph
La chaleur d’un curé !
Madeleine
Y aussi la Berthe qu’est venue.
Joseph
Qu’est-ce qu’elle voulait ?
Madeleine
Il l’a mise à la porte.
Joseph
Fait pas que des conneries le gosse.
Madeleine
Demain ce sera le notaire et après demain les gendarmes.
Joseph
Le pape y peut venir j’en ai rien à foutre.
Madeleine
Ca tourne mal Joseph.
Joseph
Attends, attends, je l’ai pas poussé au cul pour une qui serait pas d’ici.
Madeleine
Ca fait longtemps.
Joseph
Et même plus.
Madeleine
Comme les éléphants qu’ont trop de mémoire.
Joseph
Cause propre.
Madeleine
De nos erreurs.
Joseph
Y a pas eu d’erreurs.
Madeleine
Ca se paie.
Joseph
La connerie aussi, ça se paie.
Madeleine
C’était pas bien.
Joseph
C’était.
Madeleine
Aujourd’hui on le paie.
Joseph
Apporte moi mon bain de pieds.
Madeleine
J’y pense, j’arrête pas d’y penser depuis qu’elle est arrivée.
Joseph
Tu vas pas me gonfler les hémorroïdes parce qu’on a fauté ensemble.
Madeleine
C’était pas bien, c’était juste après sa mort.
Joseph
C’était après.
Madeleine
J’aurais pas du rester. Je l’ai fait pour Jean. J’aurais jamais dû.
Joseph
Pour qui ? pour Jean ou pour moi ?
Madeleine
Pour Jean.
Joseph
T’as pas craché dessus.
Madeleine
Jamais tu m’aurais laissé m’occuper de lui.
Joseph
C’est faux. Dis pas ça. J’ai pas fait ce marchandage.
Madeleine
Tu t’adresses à une femme et tu lui fais comprendre que sans ça il en viendra une autre et qu’il aura une autre mère qui serait pas de la famille. C’est ça que tu as fait entendre. Je pouvais pas laisser faire.
Joseph
Tu pouvais pas laisser faire alors tu t’aies laissée faire. Faut pas venir vingt ans après me faire la leçon. Tu pouvais refuser. Tu pouvais retourner dans ta grotte…C’est pas assez chaud.
Madeleine
Jamais t’es content. C’est chaud. T’as plus de sensibilité.
Joseph
Depuis qu’elle est arrivée, tu sais plus la bonne température, tu sais plus la dose de vinaigre. Même les patates tu sais plus les cuire. Faut pas grand chose pour te mettre à l’envers. A moins que ce soit de la rancœur.
Madeleine
C’est toi qu’as changé, t’es en train de te refroidir. Elle perturbe tout le monde. Faut la renvoyer.
Joseph
Tu parles de la saharienne ? P’être qu’elle saurait la bonne température. P’être qu’elle saurait mieux que toi. Parce qu’elle a été infirmière à ce qui se dit.
Madeleine
Y a pas d’eau dans le désert. Y peuvent pas prendre de bains de pieds. Y prennent le thé à la menthe c’est tout.
Joseph
C’est p’être ce qui me faut, un bain de pieds au thé à la menthe.
Madeleine
De la menthe il y en a dans le jardin, si t’en veux…
Joseph
Alors, de quoi tu te plains.
Madeleine
Faut qu’elle parte.
(Entre Jean)
Jean
Parlez pas tous en même temps.
Joseph
Cette eau , elle refroidit pas.
Jean
Et quand vous parlez, c’est à côté.
Madeleine
L’eau, elle finit toujours par refroidir.
Jean
T ‘as mis les noix à sécher ?
Madeleine
Pas encore.
Joseph
Avant que ça gèle…
Jean
Comment faut vous parler ? en chinois ?
Joseph
Dis lui : c’est d’abord le respect qu’il faut. Sans respect, pas de confiance. Pas de confiance, pas de parole.
Madeleine
Pourquoi moi ? C’est toi le père.
Joseph
Une femme, ça sait mieux parler sans la colère.
Madeleine
C’est pas ça que j’ai envie de lui dire.
Joseph
Alors, fais pas chier.
Madeleine
Je voudrais lui dire qu’il y en a une de trop.
Joseph
Tu peux pas lui dire ça, t’en voulais une de plus, tu l’as eue.
Madeleine
Il en fait qu’à sa tête. Je voulais pas une saharienne.
Jean
Mauritanienne !
Joseph
On peut rien quand il en a dans la tête, c’est comme pris dans le béton. Ca bouge plus.
Madeleine
Faudra qu’il change en premier, ensuite on verra.
Joseph
Il finira par se fâcher avec tout le monde.
Jean
C’est pas la première fois que vous faites ça. Mais faudra pas me demander quand vous aurez besoin de moi, que vous serez au fond de votre lit et que vous pourrez même plus vous relever pour chier.
(Il sort)
Joseph
Maintenant, elle est trop froide.
Madeleine
Tu sais pas ce que tu veux. Vous êtes une famille de « je sais pas ce que je veux » !.
Joseph
D’ailleurs, quand je serai au fond de mon lit et que je pourrai plus bouger….
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