SAYNETES MIGRATOIRES (extraits)

bidonville immigration  " Pendant quinze ans, j'ai vécu dans une maison de maître reconverti en foyer. Un bâtiment délabré, glacé en hiver, torride en été. Nous étions une cinquantaine qui travaillaient à la fabrique de moteurs, plus bas, en ville. Un jour, un député nous a rendu visite. Il s'est étonné de tout. Du marbre, des lambris, des volutes au plafond. D'un vieux poêle en faïence verte. Les gens qui l'accompagnaient buvaient ses paroles comme si c'était du miel. Mais le miel aussi en traversant le corps devient de la merde. Devant les grands placards, il disait : « alcôve » et riait ; les autres répétaient « alcôves ! » et ils riaient ! Certains d'entre-nous dormaient dans des alcôves et ils n'en savaient rien. Il s'est étonné de tout, même d'une vieille baignoire en fonte et de ses pieds palmés. Il avait sans doute bien mangé et bu ce jour-là car il a voulu s'y coucher. Il a reculé, dégoûté. Les bleus des copains y trempaient dans un mélange d'eau de javelle et de savon. Il est reparti. Nous avons continué à vivre avec les cafards, à cinq par chambre, avec une salle de bain et des chiottes pourris ainsi qu'une cuisine sans gazinière. A l'époque, les gars envoyaient leur paie au pays. Puis ils ont fait venir femmes et enfants.

 

maçon 1965

Quand Messaoud a été décapité par une presse en 1972 à l'usine d'automobile, les copains ont fait grève. Il avait débranché le système de sécurité. Quand il a avancé la tête pour débloquer une pièce, la masse est tombée. On était payé aux pièces. En débranchant la sécurité, il gagnait cinq secondes par pièce ; soit 26 minutes par jours. Il a travaillé ainsi pendant trois ans et gagné 91 heures par ans, onze jours en tout. C'est peu par rapport à l'éternité."

 

"Le temps a passé. L'usine a fermé. Beaucoup sont partis. Moi, je me suis reconverti ; je suis devenu mage ou philosophe si vous préférez. Je me suis fabriqué un bâton de devin avec un manche à balai qu'un gars avait abandonné dans un placard. Il a été si longtemps et si durement utilisé qu'il est tout lustré et creusé, rongé par la sueur des mains du balayeurs. On peut y lire les lignes de ses mains. Ici, l'usure a poli une ancienne plaie. Le bois souffre et raconte, il suffit de tendre l'oreille. C'est qu'il a absorbé les pensées du balayeur. Le balayeur pense en balayant. Que ferait-il d'autre ? Il pense à son village, à un morceau de terre là-bas, à un coucher de soleil, aux vieux qui palabrent sous un baobab, aux femmes vêtues de longues robes chamarrées. Il rêve à son retour. Parfois, il pleure, car ce sont des traces de larmes qu'on voit ici."

 

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  femme espagnole immigrée"Lorsque l'ennui est trop aigu, je m'en vais en gare poursuivre d'anciennes images. Le passage des trains est une consolation. Le passage des êtres, une bénédiction. Ils vont, ils viennent, grands et petits, gros et maigres, chauves et chevelus, noirs et blancs, hommes et femmes, jeunes et vieux, emportés par cette fébrilité qui règne dans les grandes gares. On y rencontre des fonctionnaires, des artistes, des employés, des ouvriers, des fous, des idiots, des étrangers, des indigènes, des fantômes . Les miens rapportent des souvenirs égarés. Lutte, grèves, protestations, manifs...Les bruits se perdent dans le grondement présent ; Le temps est une tornade qui emporte tout, ne laisse que des fragments dispersés, des histoires brisées, des morts orphelins. Parfois , je revois l'ombre de ce jeune homme fluet, gauche, encombré d'une valise en carton à laquelle il a attaché une couverture grise et qui regarde de ses yeux inquiets la foule qui se précipite sur les quais En ce temps-là, j'avais les mains douces, les yeux clairs et les idées tendres."

 

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