Mr et Mme F. immigrés espagnols, deux filles, trois garçons.
Vous venez d’où ?
Mr. F. : Nous, on est parti d’Andalousie. Je suis d’abord allé dans les Asturies, dans les années 50. Au début , c’était un voyage satisfaisant pour moi parce que j’espérais trouver du travail. Mais en fait, c’était une entreprise terrible. On a pris le train de Madrid aux Asturies. On a dormi dans le train et le matin on s’est réveillé dans un endroit qui s’appelle las Salas au pied des montagnes, pas loin de l’océan. Tout était vert. Il y avait du brouillard et une pluie fine. La surprise est énorme quand on vient d’Andalousie où tout est sec. J’ai travaillé dans la métallurgie. Une usine énorme, cinq ou six milles personnes. Tout se faisait à la main, il n’y avait pratiquement pas de mécanisation. On était mal vu. Il y avait du racisme parce qu’on mangeait le pain des asturiens. Je me souviens très bien. C’était au moment de la guerre de Corée. Les gens nous surnommaient les coréens parce qu’on était différent, pas habillé comme eux, brûlé par le soleil. Mais il y avait du travail pour tout le monde. Là, je suis resté six ans. Dans les années soixante, il y a eu une crise économique importante en Espagne. Le gouvernement espagnol a voulu se débarrasser des chômeurs. Il a ouvert l’immigration. Les gens sont partis vers la France, vers la Belgique. J’étais déjà marié. Je vivais avec mon épouse et mes parents qui avaient aussi émigrés aux Asturies. Il n’y avait plus de travail, plus d’heures supplémentaires. On gagnait 238 pesetas par semaine. C’était une misère. On avait quelques économies qu’on dépensait petit à petit. On ne payait pas de loyer car on avait une chambre chez mes parents. On était quinze,. On n’arrivait pas à vivre. Quand l’émigration s’est présentée, on a discuté et on a décidé d’y aller.
Pourquoi êtes-vous venus à Belfort ?
On avait un oncle ici qui était réfugié politique. Il avait quitté l’Espagne en 1948 pour rejoindre son père qui s’était enfui en 1939 après la guerre civile et qui habitait à Perpignan. Quand je suis parti, ma fille avait 19 jours. C'était en 1960. Je suis passé par Santander et Barcelone pour dire au revoir à des parents. Le billet de Barcelone à Belfort, c’était 1100 pesetas. Je suis arrivé à Belfort avec 5F en poche. J’ai été impressionné par la vitesse des trains en France. En Espagne, ils roulaient à 50km/h. En arrivant à Perpignan, j’ai été surpris par les antennes de télévision partout. Il n’y en avait pas aux Asturies. J’avais un papier indiquant où j’allais. Je suis arrivé à Belfort à six heures du matin. Mon oncle m’avait dit : « en sortant de la gare tu verras le trolleybus, tu le prends et tu vas jusqu’à la fin ». Je descends à Valdoie. Je vais dans une épicerie-café tenue par une belle dame. Je cherchais l’avenue d’Alsace. Elle m’a accompagné jusqu’au bloc où habitait mon oncle. Il était marié à une française. Il y avait une marmaille de gosses chez lui. Mon oncle, je l’avais peu vu. C’était quelqu’un qui avait très mauvais caractère. Deux jours après mon arrivée, j’avais des papiers et trouvé du travail dans le bâtiment. J’ai été surpris par les gens de l’administration qui étaient gentils. Chez nous, ils nous prenaient de haut derrière leurs guichets. La patron était bien quand on était un bon ouvrier. On travaillait dix heures par jour. On était payé 1,70F de l’heure. Puis je suis passé à 2F. C’était un bon moment. Il y avait pas mal d’italiens et quelques arabes. Le chef venait de Majorque. On était satisfait parce que, en Espagne, on était considéré comme des moins que rien. On travaillait beaucoup mais il y avait « une diplomatie » différente. Ça ne se passait pas bien chez mon oncle. Il était violent et alcoolique, il traitait sa femme et les enfants comme des chiens. J’ai souffert beaucoup là-dedans. J’avais envie de partir.
Vous étiez toujours seul ?
Oui, ma femme et mes enfants étaient chez mes parents.
MmeF.: Je faisais des ménages parce qu’on n’avait pas de revenus, pas de sécurité sociale. Il ne pouvait rien nous envoyer.
Mr F : Oui, parce que ça a été très long pour mettre en place l’envoi de mandats.
Pendant tout ce temps, vous ne parliez pas français ?
Mr F.: Je ne connaissais pas un mot de français.
Mme F : Ni lui ni moi. Rien.
Mr F : On a toujours trouvé des gens biens qui essayaient de nous comprendre. Par exemple, plus tard, il y avait un épicier, là dans le Fourneau (quartier de Belfort proche des Glacis) quand on se voit, il nous salue tout le temps…
Mme F : Je suis allée faire les courses, je ne connaissais pas les noms des choses, je montrais avec mon doigt. Il m’a fait passer derrière le comptoir et il m’a dit : « vous prenez ce que vous voulez, vous le mettez dans le panier ». Je lui ai demandé pour payer, il ma répondu : « vous ne payez pas maintenant. Vous paierez quand vous aurez des sous. »
Mr F : Au niveau du français disons qu’on a beaucoup souffert. Le dimanche, on se promenait en ville. On écoutait les gens et on était heureux quand on rencontrait quelqu’un qui parlait espagnol. Quand on arrive dans un pays étranger comme ça, on a une période pendant laquelle on entend tellement autour de la tête qu’on est dans un brouillard de sons. Mais on ne comprend rien, alors on dit toujours, oui, non, oui, non. Puis on cherche un peu à comprendre. Pour moi ça a duré un mois. J’aimais beaucoup la lecture. Alors j’achetais des revues. J’achetais souvent Marie-Claire parce qu’il y avait beaucoup de feuilles. Je lisais et retrouvais des mots que j’avais entendus. Ah, tiens, ça veut dire ça ! Trois mois après on arrivait un peu à comprendre.
Vous n’êtes jamais allé en cours de français ?
Mme F. : Non, ni en espagnol. Je n’y ai pas eu droit. J’étais une fille. Je travaillais à la maison avec ma maman.
Tous les deux vous êtes de Guadix (en référence au fait qu’ils y vont régulièrement)?
Mme F : Non, nous sommes de la province de Malaga. On s’est marié, il avait 25 ans et moi 24.
Comment s’est passé votre voyage depuis les Asturies jusqu’à Belfort ?
Mme F. : Très mal pour moi, parce que j’avais un enfant dans les bras et un autre à la main. J’avais trois paquets, un pain que m’avait donné mon beau-frère à Santander pour manger pendant le voyage. J’avais une bouteille de lait pour les enfants. La bouteille est tombée, elle s’est cassée. J’ai pris l’autocar d’Oviedo jusqu’à la frontière, à Hendaye. Puis j’ai pris le train. Je ne comprenais pas un mot. Je savais que je venais à Belfort. Je n’avais aucune idée où se trouvait Belfort. C’était au mois d’août. Je demandais aux gens « Belfort ? ». Ils répondaient « c’est loin » (elle fait « brrr… » pour indiquer le froid). Je suis passée par Paris. Mon mari m’attendait à la gare d’Austerlitz. Je suis arrivée, il pleuvait des cordes. J’avais rien pour me changer, les enfants non plus. On était dans les derniers wagons. J’ai descendu les paquets et les enfants sur le quai. J’ai fait signe aux hommes qui tiraient les charrettes pour nous emporter mais ils ont refusé. Alors, j’ai pris le petit, j’ai laissé la fille et les paquets sur le quai, sous la pluie et je suis allée chercher un chariot. Je les ai mis dessus avec les paquets et je les ai ramenés. Dans la gare tout le monde filait, moi je restais toute seule. On était trempé. J’ai pleuré comme une madeleine. Un homme est venu, il ma parlé en espagnol. Il m’a dit qu’il allait faire un appel au micro. Mon mari n’était pas loin, il a entendu le message. Quand il est arrivé, j’ai cru que c’était Dieu qui se présentait ! Quand je suis arrivée à Belfort, je pensais trouver une maison où je pourrais bien dormir, me changer et aussi mes enfants. Mais il n'y avait qu'un vieux matelas avec un traversin de paille, un petit lit cloué pour le petit. Pas de cuiller, pas de verre, pas d’assiette. Il y avait un café en bas, le Café des Perches. Quand la dame a su qu’on était arrivé, elle est montée. Elle nous a apporté une boîte de lentilles avec des saucisses et des couverts, et aussi pour le petit déjeuner. Je ne peux pas l’oublier, jamais, jamais. Pendant deux jours, elle nous a donné à manger et en échange j’allais faire la vaisselle au café. Ça, je ne l’oublierai jamais. J’ai jamais pleuré autant. Mais j’étais avec mes enfants et mon mari qui me manquait beaucoup. On sortait le dimanche et le samedi avec les enfants et on rapportait tout ce qu’on trouvait pour se chauffer en hiver. Et puis ça, c’était ma vie. Après est venu un troisième enfant. On a eu un logement aux Résidences. J’ai fait venir ma maman. C’est comme ça que ça s’est passé.
Vous n’avez pas eu envie de retourner vous installer en Espagne ?
Mme F. : Non. Parce qu’on s’est dit que les enfants vont grandir – trois qui sont nés à Belfort, deux en Espagne - aller à l’école ici, apprendre le français, un métier, travailler. Tandis qu’en Espagne on n’avait rien, pas de maison. Mon mari a du travail ici. On se sentait bien en France, on a décidé de s’y installer définitivement. Et puis ça s’est passé comme ça.
Mr F. : Retourner en Espagne ? On rêve tout le temps. On a rêvé beaucoup de l’Espagne. Mais pas de vivre là-bas.
Vous rêviez de quoi ?
Mme F. : C’est là que nous sommes nés. Nous avons travaillé à la campagne.
Mr F. : C’est le rêve de l’enfance. On rêve à nos parents qui sont décédés là-bas, alors qu’on était ici. L’immigration c’est un drame terrible pour l’immigré. C’est horrible, on ne peut pas imaginer quand vous êtes à trois milles kilomètres et que vous recevez un télégramme, « maman, elle est gravement malade » et que vous n’avez pas beaucoup d’argent et qu’il faut aller vite. Rêver de la famille oui, rêver d’aller travailler là-bas, jamais. Ici, on n’avait pas besoin d’avoir un chapeau à la main. Ici on arrivait, « Monsieur vous avez du boulot ? – Oui. » et c’était fini. Les patrons vous traitaient de Monsieur. En Espagne, c’était franchement la merde. Ici, il y avait un respect envers les ouvriers, malgré ce qu’on pourrait en dire, dû au fait qu’il y avait du travail et des besoins de main d’œuvre. Aujourd’hui ce n’est pas la même histoire, je ne pensais pas qu’en France on aurait besoin d’avoir le chapeau dans la main pour avoir du travail. Je veux dire un coup de piston. Je me suis trompé.
Vous avez attendu longtemps avant de retourner en Espagne ?
Non, pas trop. Du moment qu'on a eu un petit peu d'argent on a essayé d'aller voir les familles. En 1963, j'y suis retourné car j'avais une sœur qui avait 25 ans et qui s'était noyée. L'année d'après, je suis allé voir un frère qui était gravement malade.
Quelle impression cela vous a fait de retourner en Espagne ?
Une impression énorme de me retrouver avec ma famille, ma mère que j'aimais beaucoup.
Leur situation s'était améliorée ?
Oui, ils vivaient mieux. L'immigration a fait baisser le chômage, il y avait plus de travail pour ceux qui restaient. Ma sœur avait un travail dans un petit hôpital. Elle gagnait bien sa vie. Tout le monde vivait mieux. Je regrette un petit peu d'être parti. Mais d'un autre côté, on se fait parfois des idées. J'aurais pu faire comme beaucoup, amasser un peu d'argent et acheter un petit commerce ou un café. J'allais en vacances en voiture et, là-bas, ils n'avaient encore rien.
Vous avez de la famille avec laquelle vous pouvez parler en espagnol, mais par rapport aux enfants ?comment vous leur avez parlé de l'Espagne ?
Mr F.: On leur a appris l'espagnol.
Mme F. : Moi, je leur parlais toujours en espagnol. Surtout en andalou qui est un bon espagnol (rires) ! Mes filles arrivent à lire et à écrire en espagnol sans avoir appris à l'école. C'est le garçon qui est né là-bas qui parle le plus mal.
Vous leur avez raconté des histoires en espagnol ?
Mme F. : Beaucoup de fois. Ah oui. J'ai raconté ça...La vie a tellement changé...ma vie n'est pas la même que la leur. Ils me répondent : « c'était en arrière ». Je ne leur ai pas chanté de chansons. Avant je chantais comme un pigeon, maintenant rien du tout.
Mr F. : Je crois qu'on a été trop pris. Bon. Le travail, la lutte de tous les jours. Peut-être qu'on n'a pas pris assez de temps quand les enfants étaient petits. Travaillez dix, douze heures tous les jours, même le samedi. Je revenais à la maison c'était pour dormir. Le problème avec l'immigration, c'est que les enfants vont à l'école ici. On ne se permet pas de trop mélanger espagnol et école. On ne sait pas trop quoi faire. Ce que disent les maîtres : faut pas trop les charger, ça leur fait trop de travail, il faut laisser, plus tard. On a essayé de les guider le plus possible. Moi, mon souhait c'était qu'ils fassent des études. J'ai poussé autant que j'ai pu, tous les cinq. Mais pas de chance. Les deux filles ont eu un BEP, un garçon a fait un peu d'IUT, les autres n'ont rien fait. Pour moi, pour les enfants, c'était la culture, la culture, la culture. Les deux qui ont le moins de culture sont les plus mal lotis
Mme F. : Le dernier, il travaille dans la carrosserie. L'autre a son Cap d'électricien dans le bâtiment.
Mr F. : On est tombé dans une période où c'est le laisser aller de tous les côtés. Au niveau des éducateurs, des écoles, des parents, des églises. On a tout laissé aller. Nous, on est peut-être tombé dans ce piège, travailler beaucoup, avoir un peu d'argent, voiture, voyage. Je ne sais pas.
Vous avez fait d'autres voyages que d'aller en Espagne ?
Oui, par exemple en France, on est allé dans les Alpes, sur la Côte d'Azur. On est allé aussi en Tunisie.
Sur le quartier, vous avez des relations avec les autres habitants ? Vous êtes arrivés dans les années 60, puis il y a eu d'autres immigrés, vous avez rencontrés ces gens-là.
Quand on est arrivé, il n'y avait pratiquement pas d'espagnols. On était parmi les premiers. Beaucoup sont arrivés après. A Belfort, il y avait près de cent familles. A la fin des années 60, on a commencé à créer des clubs espagnols. En 68 ou 69, on a eu les premières réunions. Dans les années 70, c'était l'apogée. On avait plus de 200 adhérents. On a d'abord eu une salle à la Pépinière (quartier de Belfort), on a eu ensuite une salle rue des Acacias par l'église. Elle était en mauvais état, on l'a rénovée. On a fait venir les consuls, le préfet, le maire. On a encore une petite salle dans une ancienne caserne. Avec les immigrés qui sont arrivés après nous, c'était bien. Le centre, c'était accueil et solidarité. Quand il y avait un décès, un problème, on donnait de l'argent. Chacun contribuait. On a secouru pas mal de gens. On allait visiter les malades dans les hôpitaux. C'était une très belle époque. C'est dommage, c'est parti.
Et puis, on essayait d'intégrer les gens. La communauté espagnole s'est très bien intégrée. Quand on est immigré, on n'est pas chez soi. On est chez l'autre. On doit respecter les coutumes du pays où on arrive. Ce ne sont pas les gens du pays d'accueil qui doivent s'adapter, c'est nous qui devons nous adapter au pays où on vit. Et puis il y a des règles. Il faut respecter ces règles. Pour moi c'est primordial. Même s'ils nous ont emmenés parce qu'ils avaient besoin de nous. Ce n'est pas pour le plaisir qu'ils nous ont emmenés, mais pour le profit. Malgré tout ça on doit rester digne et respecter les lois du pays.
Maintenant vous pensez que vous êtes chez vous ?
Mr F. :Oui. Bon, je suis un étranger ici, je suis encore un étranger en Espagne. Mais ça n'est pas dans ma tête. Moi, je suis aussi bien ici que là-bas. Si là-bas, ils me disent : « toi français », je réponds : « moi je suis aussi espagnol que toi, si tu as du travail aujourd'hui c'est parce qu'on est parti. » Ici c'est pareil. Si quelqu'un me dit : « aujourd'hui c'est la salle de bain », je réponds : « si tu as une salle de bain, c'est parce que j'ai creusé des kilomètres et des kilomètres d'égouts ». On a eu dans notre vie une petite période d'hésitation. On avait deux enfants nés en Espagne et trois en France. On s'est retrouvé avec trois français et deux étrangers (rires). Que faire ? Je suis allé à la préfecture voir ce qu'on pouvait faire. La préfecture a dit qu'il fallait les naturaliser. Puis on a réfléchi, on a préparé tous les papiers, mais on les a laissés là parce que c'est dur de changer . Ils ont grandi. Je rêvais que mes enfants entrent dans l'administration. Ils ne pouvaient pas. On a décidé de se naturaliser. Ça s'est fait. Et puis j'ai regretté. Des français, des abrutis, m'ont dit : « tu es français maintenant, tu ne sais même pas parler français».
Mme F. : Quand on va en Espagne, on nous dit : « ça y est les français sont arrivés ». Quand on revient, on nous dit : « tiens, les espagnols sont arrivés ».
Donc vous êtes nulle part...
Mr F. :On se trouve bien là où on est et puis c'est tout. On est dans un pays magnifique.
Mme F. : J'aime beaucoup Belfort. J'ai passé plus de la moitié de ma vie ici. Quand ma maman est arrivée ici, elle a gardé les enfants. Moi, j'ai fait des ménages. J'ai travaillé partout. J'ai fait des boulots dehors, j'ai nettoyé des trottoirs, déneigé, j'ai sorti de grosses poubelles, j'ai fait tout. Je ne regrette rien parce qu'en Espagne je ne toucherais rien du tout. J'ai travaillé en Espagne mais sans être déclarée. On travaillait pour gagner de quoi manger, sinon rien du tout.
Mr F. : Grâce à ça, elle a obtenu une petite retraite.
L'Espagne a changé par rapport à ce qu'elle était quand vous êtes partis.
Mr F. : Complètement. L'Espagne n'a plus rien à voir avec l'Espagne qu'on a connue . Elle a changé trop vite. Trop de liberté, trop vite. Les espagnols n'étaient pas préparés. J'ai un exemple. En 1975, je vais à Barcelone chez mes parents. Puis, un jour, on a pris le petit train pour aller à la plage. On était dans le wagon, il y avait deux prêtres, tout habillés de noir, des gros (rires). On arrive à la plage. Trois ou quatre filles, de 18 à 20 ans, se sont moqué d'eux, ont poussé des cris (il fait "croa, croa..."). Moi, je me suis mis dans la peau des deux types. J’avais honte. Dix ans auparavant, ils auraient pu t'envoyer en prison. Ils ont rien dit. J'étais perplexe de voir ces deux corbeaux là-bas et ces filles...Malgré tout j'avais du respect pour ces gens-là habillés de cette façon. Avec cette liberté, on a des problèmes terribles, de drogues, de prostitution. Quand on va à Guadix, dans un petit village à sept kilomètres, on voit des drogués, des gens…Les familles n’ont jamais connu ça. Jamais. Il y a là un monsieur qui a quatre-vingts ans. Il était parti comme nous. Quand il a pris la retraite, il est revenu au village avec sa fille mais elle se trouve avec des filles droguées. Complètement droguées. La liberté, on la gagne petit à petit. Ca ne m’étonnerait pas qu’on entende là-bas «Viva Franco». Beaucoup de gens disent : « ah, le temps de Franco ! ». Je les comprends, on a la mémoire courte. On ne se souvient plus qu’on n'avait pas de droits. Quand j’y suis retourné au début, j’ai calculé que l’Espagne avait cinquante ans de retard. Aujourd’hui, elle en a peut-être dix. C’est un pays très agréable.
Ouvriers espagnols lors de la construction de l'usine Rodhiaceta à Besançon.
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