Entretiens Immigration Quartier des Glacis 5 (1997)

Mr R., martiniquais.

 

Comment s’est passée votre arrivée ici ?

Moi, je croyais trouver des gens corrects surtout des gens propres. Mais en arrivant ici, ah quelle surprise ! Je suis tombé des nues comme on dit. Quand je suis arrivé ici, j’ai vu des gens malfaisants. Des enfants qui manquaient de respect. Je ne connaissais pas ça. Ici on est obligé de vivre comme eux,  comme un loup parmi les loups. Si on ne vit pas comme ça, on se fait croquer. On est obligé. Moi, j’ai toujours été d’un abord fraternel, mon cœur il est ouvert à tout le monde. Mais vu qu’ici les gens t’acceptent parce qu’ils  peuvent te gratter… Une fois qu’on n’en a plus besoin, on s’en débarrasse. Ici, ça m’a permit de me méfier un peu parce que tout le monde n’est pas comme moi.

Quel âge aviez-vous quand vous avez quitté la Martinique?

J’avais 16 ans. Je suis allé à Paris. Je suis retourné en Martinique et je suis revenu ici, à Belfort, pour le service militaire. Moi, j’ai peur pour mes enfants. J’ai vraiment été estomaqué : des petits gosses, même pas 1m20, qui insultent sans retenue devant les grandes personnes, ça chez moi ça se fait pas. C’est une question d’éducation. J’ai galéré quand je suis arrivé ici, parce que moi je faisais confiance aux gens.

En Martinique les gens sont fraternels entre eux…

Oui, il n’y a pas ça, on te dépanne sans arrière pensée. Parce que si tu m’as donné quelque chose la dernière fois, je devrais te donner quelque chose en retour ?…je connaissais pas ça. Moi, quelqu’un qui est dans le besoin, je lui donne sans attendre de retour. J’ai des copains ici, depuis plus longtemps que moi, ils ont pris la façon de vivre d’ici. En métropole, on ne peut même pas faire confiance à sa propre race.

Vos parents sont restés en Martinique ?

Mes parents m’ont donné une éducation telle que…aucun membre de ma famille n’a eu à faire avec la loi ou la justice. Mon père était clerc de notaire. Il ne m’a jamais donné des sous comme ça dans la main. Chaque fois que je voulais quelque chose, il me faisait faire une petite tâche. C’était pour me faire voir ce que c’est le travail. J’ai grandi comme ça. Pour avoir de l’argent de poche, je réparais les motos des copains. Ou bien,  j’empruntais la tondeuse et j’allais tondre les jardins des voisins.

Un clerc de notaire, c’est quelqu’un qui écrit…

Plus ou moins, Il a beaucoup de contacts. Son marché était international. Il travaille avec le Canada, la Suisse et tout. Il a son bureau, le téléphone ; il travaille avec des juges, des avocats… Il m’a donné, si on peut dire, le chemin de la droiture. J’ai été éduqué.

C’est donc quelqu’un qui a un certain niveau de vie là-bas…

Il a souffert mon père pour avoir ce niveau. Nous, on habitait dans une petite maison en fibrociment. Maintenant, il a quatre maisons. Il a travaillé. J’ai travaillé avec lui en maçonnerie. Il m’a appris la maçonnerie, la mécanique. Il n’a jamais suivi de formation. Il m’a appris et moi je vais apprendre à mes enfants. J’avais pas de difficultés à l’école, mais ça ne m’intéressait pas. Je ne sais pas pourquoi. J’étais plutôt un manuel. Il a vu qu’il valait mieux que je travaille. Je suis le seul comme ça. Mon frère est agent d’exploitation et ma sœur elle est trilingue.

Quand on vient à 16 ans en métropole, qu’est-ce qu’on emmène avec soi ?

L’idée de conquérir le monde (rires)! Déjà quand j’étais petit, je rachetais des walkmans en mauvais état, je les retapais et je les revendais. Ça me faisait un peu d’argent de poche. Je me disais : en métropole c’est plus grand, il y a plus d’affaires. La surprise a été grande.

L’école en Martinique donne une idée fausse de la métropole ?

Non, au contraire, j’ai trouvé que l’école donne un niveau assez élevé pour…

Ce n’est pas ce que je veux dire. C’est cette idée de la métropole …

L’école nous avait dit : « vous êtes noirs, vous allez dans un pays blanc. N’oubliez jamais ça.

L’instruction ouvre toutes les portes. »

Est-ce qu’on emmène des chansons, des histoires ?

Obligé. En premier, ce sont les cantiques de Noël. Parce que chez nous Noël, c’est la fête du porc. On les égorge la veille… Qu’est-ce qu’on ramène ?…Surtout le rhum. Quand on part, il ne faut jamais oublié la bouteille de rhum dans le sac. Ici, il fait soit trop chaud ou pas assez chaud. Du rhum, de la cannelle, du citron vert, tu prends un petit verre, ça réchauffe tout de suite.

Comment ça s’est passé à l’armée ?

Quand on arrive ici, heureusement qu’il y a ceux qui sont passés avant nous. Et c’est toujours comme ça que ça se passe. Ceux qui passent avant nous, ils nous donnent toutes les portes à ouvrir. Tu vas là, tu fais ci, tu fais ça, la tenue pour ne pas avoir de problème. Toi, tu fais ta place. Moi j’ai fait qu’une seule manœuvre. Les autres, je savais comment les éviter. C’est comme ça que j’ai eu mon permis poids lourds. On s’arrangeait avec des engagés, des gars de la Martinique ou de la Réunion. On faisait comme si on ne se connaissait pas… Je suis arrivé à Belfort en avril , j’étais gelé, mais vraiment, j’étais sidéré. Pour moi, c’était la petite Sibérie. J’étais en espadrilles. Je suis resté un mois sans sortir collé au radiateur. J’étais démoralisé. En plus, j’aurais voulu faire mon service militaire aux Antilles. J’ai pleuré sur moi. Heureusement, on avait un truc pour téléphoner en  Martinique depuis les cabines en payant cinquante centimes. Ce qui m’a fait un peu garder espoir, c’est ce que je me suis dit dans ma tête, que je pourrais trouver quelque chose en France, quelque chose que je pourrais amener chez moi et qui n’existe pas là-bas. J’ai trouvé plusieurs choses mais à chaque fois il y avait les finances qui ne suivaient pas. La banque me disait : il faut un apport personnel. Beaucoup.

Par exemple…

Je voulais faire un bébé-cash, ça n’existe pas chez nous. J’ai voulu faire des robes de grossesse. Et chaque fois… les gens préfèrent acheter à Miami parce que ça ne coûte pas cher et qu’ils pensent ramener aux Antilles et le vendre sur le marché… On a des voitures et des motos qui n’existent pas ici, qui viennent des Etats-Unis ou des îles anglaises.

Qu’est-ce que ça représente l’Amérique pour les antillais ?

J’ai des copains qui sont allés aux Etats-Unis. Il y en a qui sont revenus en disant que jamais ils n’iraient habiter là-bas, que les américains sont trop marteaux. Les autres ont pris la mentalité, ils ont ouvert des salles de jeux dans des quartiers où les gendarmes ne vont pas. Ces gars-là s’entretuent. Ils se droguent à mort dans le quartier. Moi, il y a des fois, j’ai envie d’entrer dans la police à cause de ça. Parce que tous ceux qui vendent ces produits-là, j’ai envie de les amener à la police. Parce que c’est des zombies. Une fois qu’on a pris le crack on n’est plus homme. On ne vit que la nuit, on mange peu, on se nourrit beaucoup de coca, que ça, coca, crack, coca, crack… Et le gars il est capable même de tuer ses parents, de vendre la télé, pour avoir sa dose. Le gars qui vend ça, moi … Les drogués, c’est un endroit où je n’ai pas vu trop de différence avec la métropole.

Et Cuba, c’est tout près…

Cuba, c’est génial. Je suis allé chasser à Cuba avec mon père. On allait chasser les oiseaux de passage. Ils organisent des parties de chasse parce qu’il y a beaucoup de ramiers, de tourterelles ; ils s’abattent sur les champs de riz et ils bouffent tout. Ce qui est bien à Cuba, c’est que tout le monde travaille. Ça empêche de voler.

Et les jeunes en Martinique, aujourd'hui ils aspirent à venir en métropole?

Ceux de la génération qui vient... tu rencontres un militaire qui arrive, tu lui demandes : « tu comptes rester ici (en France) ? - Moi ? Jamais. »  Parce qu'ils ont été prévenus comme moi. Tu veux t’engager ? Signe ! Comme ça tu restes dans l'armée, tu fais un nombre de temps. Après tu touches, tu es bien. Après tu vas dans la gendarmerie, comme beaucoup on fait chez moi.

Tout à l'heure vous avez parlé de « mère patrie » (mot prononcé hors enregistrement), mais alors qui est votre vraie mère ?

L'Afrique (rires). Ah oui. Je suis noir.

Mais vous n'êtes pas né en Afrique...

Le premier R. (nom de famille à consonance italienne) est né en Afrique ; s'il n'était pas né, je ne serais pas là. R., c'est italien. Nous, on a fait une escale au Portugal. Ils nous ont «triché» (mot presque inaudible) le nom .

Qu'est-ce que c'est l'Afrique pour vous ?

C'est de là que descendent tous les hommes. Pour moi c'est le continent du départ. Ensuite La Martinique. On l'appelait « l'île aux fleurs », Madinina. Avant, c'était un paradis. Ils ont planté du maïs ou de la canne à sucre là où il y avait de la noix de coco. Ça a bouleversé l'éco-climat.   Fort-de-France, avant c'était un marécage. Maintenant c'est la capitale. En cas de cyclone, elle est inondée. Il faut construire intelligemment.

En fait, à travers tout cela, je voulais en venir à votre mère...

La mienne ?

Oui.

C'est mon trésor, c'est mon diamant. Moi j'ai eu des histoires à l'école à cause de ma mère. Le seul fait qu'on a écorché son nom... C'est sérieux. Parce que ma mère a trop souffert pour que je laisse quelqu'un humilier son nom. Il faut pas que je donne le prétexte à quelqu'un de... Je préfère parler de mon père. C'est mon bâton de berger. A 15 ans, il s'est retrouvé tout seul. Parce que ma grand-mère a été obligé de partir en métropole pour travailler. Il a été élevé par ma tante. Grâce à ça, il n'est pas devenu brigand, il n'est pas devenu drogué. Il a marché droit, fier, honnête, la tête haute.

C'est le rôle de la mère en Martinique...

A l'école, s'il y en a un qui insulte la mère de l'autre, il n'a plus de dents. Ça va loin ça. Les gosses, ils s'insultent entre eux ; mais les parents, non, non ...

 

La discussion est interrompue par un appel téléphonique.

enfant devant barrière

 

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