Feuilleton : "Le Souffleur" 1

(Le narrateur, une chaise, des livres épars sur le sol, éclairage à la bougie, des bouteilles d’eau vides et pleines, …. Il lit le début de la nouvelle de Büchner :)

 

« Le 20 janvier, Lenz passa par la montagne. Sommets et vastes chaumes enneigés. En bas, dans les vallées, pierrailles grises. Etendues vertes. Roches. Sapins. Il faisait froid et humide. L’eau ruisselait le long des rochers et coulait en travers du chemin. Les branches des sapins courbées, lourdes, dans l’air humide. Dans le ciel, des nuages gris, tout si dense et si épais. Puis le brouillard montait, lourd et humide, glissait à travers les buissons, indolent, diffus. Lenz avançait avec indifférence. Le chemin lui importait peu, tantôt montant, tantôt descendant. Il ne ressentait pas la fatigue. Parfois, il lui était désagréable de ne pas pouvoir marcher sur la tête. »

 

J’ai écrit une pièce sur Lenz. D’après Büchner. Lenz le poète, Büchner le dramaturge. Personne n’en a voulu. C’était une folie de s’attaquer à un monument de la littérature allemande. Ils m’ont conseillé d’écrire une histoire drôle. Je vais finir par en écrire une, la mienne.

Lenz, on l’a retrouvé mort dans une rue à Moscou. Il enseignait dans un pensionnat. Il a écrit une pièce dans laquelle un type se coupe les génitoires par dépit amoureux. Lenz a eu une vie de merde. Moi aussi. Büchner est mort à vingt quatre ans. Il n’a pas eu le temps de vieillir. Moi si. Il a écrit sur la mort. Celle de Danton. Pendant qu’il écrivait, la police fouillait dans ses poubelles. Je n’intéresse pas la police, je n’intéresse personne.

Pour écrire sa dernière pièce, Woyzeck, Büchner s’est inspiré de meurtres commis par de pauvres types, d’anciens soldats qui vivaient en concubinage avec leur maîtresse. Dans Woyzeck il y a un étang. Woyzeck aime Marie. Marie le trompe avec le tambour major. Woyzeck tue Marie.  Woyzeck jette dans l’étang l’arme avec laquelle il a tué Marie. Les étangs, comme la mer, sont des casse-têtes pour les metteurs en scène. A éviter si l’on veut être porté à la scène.

 La scène porte.

 La scène porte les calembredaines du metteur en scène.

Elle accouche à la générale. L’auteur, c’est-à-dire le père, celui qui a semé la graine, c’est-à-dire le texte, est rarement présent à l’accouchement. Et pour cause, la plupart ont déjà franchi le Styx. Il y a une pudeur chez les auteurs dramatiques qui frise l’effacement. La mort de la littérature dramatique vient de cet effacement. Je le dis, je ne le répète pas. Je n’en suis pas sûr. A dire vrai, je ne suis sûr de rien.

Les mots me sont venus comme ça, dans le désordre,  dans l’émoi d’une création qui n’arrive plus à se construire. Au moins, la règle des trois unités, c’était clair. On ne discutait pas, il y avait les chiens de garde et les chefs d’œuvre. Les chefs d’œuvre sont les vrais chiens de garde de la littérature. Il faut mettre à terre les chefs d’œuvre, leur pisser dessus, leur… Excusez-moi…Trop de désordre…Trop de mots…Les Mots, oui Sartre …et encore… et encore des mots, il vous remplit une bibliothèque, Sartre.  On ne le joue plus.

 

On ne le joue plus !

Relisez Sartre,

Relisons : « Qu’est-ce que la littérature ? »

Chapitre 1 : Qu’est-ce qu’écrire ? …

Chapitre 2 : Pourquoi écrire ?…

Chapitre 3 : Pour qui écrit-on ?…

Chapitre 4: Situation de l’écrivain en 1947, quel est son public, quels sont ses mythes, de quoi peut-il, veut-il et doit-il écrire ? …Et il termine :

« bien sûr, tout cela n’est pas si important, le monde peut fort bien se passer de la littérature. Mais il peut se passer de l’homme encore mieux ».

Trois cent cinquante pages d’autodérision, Sartre est l’un de nos grand auteurs comiques.

 

Chapitre 5 : situation du théâtre en 2010, quel est son public, quels sont ses mythes, de quoi peut-il, veut-il et doit-il parler ?

A suivre.

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